LE DROIT A LA DIFFERENCE

Publié le 29 janvier 2024 à 22:48

Le droit à la différence semble être de plus en plus la pierre angulaire de notre société. Ainsi, avec mon passé dans la violence et dans la haine entre communautés du Maghreb, qu’est-ce qui m’aurait dit qu’un jour j’épouserais une fille de famille Kabyle et Berbère qui me donnerait quatre beaux enfants dont les visages rappellent nos origines lointaines où se mélangent, Espagnols, Italiens, Alsaciens-Lorrains, Maghrébins, Bretons, Indous musulmans et même Touareg, à tel point que mes deux fils ont des yeux d’asiatiques ! Il est donc possible d’arrêter le processus de la haine si on écoute un peu son cœur en faisant l’effort d’apprendre à se connaître soi-même pour mieux connaître l’autre.

C’est pour cette raison que dès mes dix-huit ans, j’avais compris que je ne pourrais pas sortir indemne des affres de la guerre et même si je n’avais pas connu l’horreur des bombardements, il m’avait fallu du temps, une fois sur le sol métropolitain pour retrouver un semblant de sérénité. A cela s’ajoutait le conflit avec des principes d’un autre âge et les préjugés d’une éducation propre à l’Afrique du Nord que la jeunesse de mon époque ne pouvait plus accepter. Alors, à l’âge de vingt ans, j’ai décidé d’entreprendre une psychanalyse afin d’y voir plus clair dans ce dédalle de contradictions entre mes désirs profonds et les interdits de la morale qui s’habillaient du lien affectif avec les parents. Je m’étais dit que cette expérience analytique pouvait être bénéfique dans le métier d’assistant social que je souhaitais un jour exercer. Ce que je ne savais pas, c’est que cette aventure dans les sphères de l’inconscient allait durer plus de vingt-cinq ans. Des questionnements j’en ai connu jusqu’à l’infini, mais un jour j’ai posé mes valises pour réaliser qu’il fallait accepter parfois d’être ignorant sur certaines choses pour arriver à vivre, tout simplement ; car l’inconscient est insondable et une vie ne suffirait pas pour l’explorer. Les croyants diront « Dieu seul le sait ».

De ce divan Freudien, je garde en mémoire cette phrase d’Henry Foissin(1)mon psychanalyste : « Il y a parfois trop de force au service des idées fausses » et j’ai rapproché ce constat sur la force qui nous avait poussés, à l’issu du conflit Algérien vers la haine systématique née du désir de vengeance. Cette spirale infernale ne menait nulle part sinon à la violence et des conflits sans fin.

Autre exemple encore. Je suis allé plusieurs fois aux Etats-Unis et j’ai découvert un pays de toutes les couleurs où se mélangeaient noirs, blancs, asiatiques et autres Bangladeshis comme le directeur d’une agence de la Bank of America de Stratford dans le Connecticut. Je n’étais plus habitué à cette gentillesse, qui ne court pas les rues en France, et je me souviendrais toujours de cet automobiliste qui était venu à mon aide avec son épouse quand j’étais en difficulté dans un accident de la route à Bridgeport (CT). De plus, c’était un noir ! Je vous avoue que j’ai du mal à imaginer qu’il y a tout juste 150 ans, le président Abraham Lincoln se faisait assassiner parce qu’il avait œuvré pour l’abolition de l’esclavage.

Mais un autre constat est venu me surprendre. Un jour, dans un restaurant de Stratford (CT), j’entendis parler Français quelques tables plus loin. C’était une famille de toutes les couleurs en plein débat sur la qualité des repas outre atlantique. Curieux, je m’approchais pour engager la conversation et ces personnes furent absolument ravies de rencontrer un Français. Et pour cause, la mère de famille me présenta son mari, le type même du noir Américain, m’expliquant qu’elle avait dû venir habiter à Paris vingt ans plus tôt pour se marier en France ; les mariages entre blancs et noirs n’étant pas encore possibles aux USA dans les années 1990 !  

Etonnamment, la multiplicité des origines ne constituait pas un problème dans mon quartier de Belcourt en Algérie, et je n’y avais jamais entendu parler de souci relatif à la pratique d’une religion. Les juifs allaient à la synagogue, les arabes à la mosquée, les chrétiens à l’église. La foi était une question personnelle et nul ne se sentait mis à l’écart du fait de ses croyances. Je peux même vous dire que ces Berbères, Kabyles et autres Maltais qui venaient chez mon grand-père étaient des gens très propres sur le plan spirituel. C’étaient des personnes sincères dans leurs convictions qui ne faisait aucun déballage de leur foi. Chacun respectait l’autre.

C’est en arrivant sur le sol métropolitain en 1961 que j’ai commencé à ressentir le rejet de la différence quand nous avons été contraints de cacher nos origines. Sur le cartable de mon père, son ancienne adresse était maquillée et Alger avait été remplacée par Angers (Maine et Loire). Nous n’étions pas aimés et certains Français, peu évolués, ne manquait pas de dire sans aucune honte que les rapatriés d’Algérie étaient venus ici pour « manger leur pain ». Plus encore, ceux-là même qui nous traitaient de colonialistes, racistes, ne se sentaient pas gênés de nous appeler « des Bougnoules » ! Incroyable !

Ce creuset du rejet de l’autre, l’étranger, a continué à se répandre et je ne savais plus quoi faire pour me faire accepter. Je prenais même l’accent local du sud de la France. Je devenais un caméléon. C’est avec des fractures comme celle-là que s’installe le ressentiment et ensuite la haine entre communautés. La haine me fait penser à une maladie ; elle a ses docteurs et aussi ses charlatans qui ne manquent pas de l’exploiter à des fins peu glorieuses. Il a eu des choses monstrueuses et beaucoup d’injustice dans ce monde, du fait des désirs de conquêtes ou des guerres de religion.

Nous sommes tous les héritiers de nos ancêtres, qu’ils soient de n’importe quelle couleur, de l’est ou de l’ouest ; qui se sont peut-être entre-tués ou unis autrefois et on ne compte plus les mouvements de populations dues aux exodes sans compter les hordes de barbares et autres vikings qui déferlaient jadis sur nos terres. Il arrive toujours un moment où des voix s’élèvent pour demander l’arrêt des hostilités.

Je pense aux prises de position pendant la guerre froide pour dénoncer les propagandes entre les deux blocs qui se rejetaient mutuellement le mauvais rôle pour dire que le méchant était l’autre. C’est ce qu’avait fait un certain Sting, issu du groupe rock « The Police » quand il a construit, sur une musique de Sergueï Prokofiev, son morceau intitulé « Russians » où il chante « qu’il n'y a pas de guerre gagnable » avec ce célèbre refrain « I hope the Russians love their children too » (J'espère que les Russes aiment aussi leurs enfants). Il nous appartient maintenant de ne plus regarder le passé, mais l’avenir.

Il m’est particulièrement pénible de voir à quel point des esprits belliqueux s’évertuent à continuer de dresser les communautés les unes contre les autres. Nous n’avons que faire de ces donneurs de leçons qui occupent sans cesse la scène des médias drapés dans leurs costumes d’anti-racistes. C’est à croire qu’il se nourrissent en fait du racisme qui fait tourner leurs boutiques récupérées bien-sûr par des partis politiques. Ainsi, on entretient les querelles à tel point que certains finissent par se sentir attaqués sans raison. On n’est pas loin de la paranoïa.

Un mécanisme de récupération s’installe ensuite chez ceux qui n’hésiteront pas à invoquer un pseudo-racisme dès lors qu’on leur refuse quelque chose. Et ce sont les mêmes qui iront grossir les rangs de regroupements de personnes qui rejettent toutes celles qui n’appartiennent pas à leur communauté. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

Mieux encore, je me souviens d’avoir vu à la télévision, un reportage sur une manifestation où des participants prétendant dénoncer toutes les discriminations levaient le poing en criant « sales juifs » ! A croire qu’il existerait un bon racisme et un mauvais racisme. On tombe sur la tête !

(1)  Le docteur Henry Foissin, psychanalyste, ancien expert auprès des tribunaux civils et militaires, fut un disciple du psychanalyste René Laforgue fondateur de la « Société Française de Psychanalyse » au Maroc à Casablanca.

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