Je sors de l’hôpital Pasteur et je pleure comme un enfant ; ma mère va mourir. C’est terrible car je réalise que je ne la verrai plus jamais. Le lendemain, l’hôpital me téléphone : c’est fini. Elle est partie et m’a laissé tout seul. Je vais la voir une dernière fois sur son lit d’hôpital et je mets ma joue sur son ventre. Le monde s’écroule dans ma tête.
Ensuite ce sont les formalités pénibles qu’il faut faire et bien-sûr comme beaucoup d’autres, je vais rue de l’Hôtel de Ville pour préparer les obsèques. Je vous passe les détails, mais là je veux le plus beau pour ma mère et j’y mets le prix. Le jour du départ pour sa dernière demeure, il y a une foule immense de personnes qui sont venues à la cérémonie lui dire adieu : les musiciens de l’Opéra de Nice, ses élèves, des amis et la famille. En rentrant à la maison vide, rue de Roquebillière, je regarde son lit et l’effroi m’envahi. Je me raccroche à tout ce qui me reste d’elle, vêtements et objets, regardant autour de moi en pensant que son âme est peut-être à mes côtés. Mais il n’y a rien et je suis seul dans cette maison.
Alors le temps passe ; les mois, les années et je me marie enfin. Puis nous avons des enfants avec tout ce que cela comporte de joies et de peines. Arrivé dans ma soixante-dix huitième année, un jour, devant la glace de la salle bains, je m’aperçois tout d’un coup que j’ai vieilli et je me dis en riant devant cette vision de « chef d’œuvre en péril », que les miroirs sont de mauvaise qualité aujourd’hui.
Là, tout prend un autre sens car la vie m’a appris à ne compter que sur moi-même et dans les années 80 j’entendais dans ma tête un écho qui répondait à cette idée : « On est toujours tout seul au monde » comme l’avait si bien repris Michel Berger dans sa chanson « Les uns contre les autres ». Mais vivre à la petite semaine d’aventure en aventure, je l’ai fait autrefois, pendant des années, dans ma mansarde parisienne quand Léo Ferré chantait « La solitude ». J’avais essayé de vivre avec cette solitude, mais chaque jour, en rentrant du travail, je ressortais immédiatement pour aller traîner mes guêtres jusque tard dans la nuit à Saint-Germain-des-Prés dans le Marais où à côté des halles de Paris. Certains soirs, je passais de longs moments rue de l’Ancienne Comédie, à regarder dessiner ce garçon venu de Téhéran qui vendait pour quelques sous sur le trottoir ses tableaux de « Clochards Galactiques » où l’on voyait des hippocampes-rhinocéros fumer des pétards. C’était l’époque où je divaguais dans mes écritures poétiques, le livre de Francis Ponge dans la poche, assis à la terrasse des bistrots réalisant que comme beaucoup d’humains, je n’étais pas fait pour vivre seul car j’étais bien un animal social.
Mais mon esprit rêveur, fleur bleue, idéaliste et indépendant me rendait plus vulnérable que les autres et se coulait mal dans le corps des fonctionnaires d’Etat auquel j’appartenais et où j’avais été qualifié par mes collègues « d’erreur dans l’administration », ce qui n’était pas pour me déplaire.
Je n’ai donc pas été épargné par la vie et mes déceptions paraissaient chaque fois inoubliables et incurables. Mais, comme dit la publicité « Cà, c’était avant ». Le rouleau compresseur du temps est passé par là et quand je regarde en arrière, tous ces évènements autrefois si douloureux me paraissent aujourd’hui insignifiants, presque futiles. Ainsi en est-il des déceptions sentimentales. Avec l’âge (et le temps) on devient résigné quand la résolution des problèmes est impossible et l’on se dit que si c’était à refaire, on se ferait moins de soucis et on prendrait le temps de vivre ; on profiterait mieux de sa vie. Mon père disait « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ».
Alors je me surprends à fredonner « Avec le temps », cette chanson de Léo Ferré :
« Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie le visage, et l'on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus
C'est pas la peine d'aller chercher plus loin
Faut laisser faire, et c'est très bien
Avec le temps, tout s'évanouit
Même les plus chouettes souvenirs, ça, t'as une de ces gueules
À la galerie, j'farfouille dans les rayons d'la mort
Le samedi soir quand la tendresse s'en va toute seule »
Et le pire, c’est que le temps, pour moi, a écrasé beaucoup de choses. Si je garde en mon cœur le souvenir de mes parents, je viens de cesser de renouveler leur concession funéraire en France et leurs sépultures vont disparaitre.
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