En mai 1968 j’avais 23 ans et, bien-sûr, j’ai été marqué par cette époque où l’on criait notre envie de vivre en rejetant tous les interdits. « Il est interdit d’interdire » ou « Faites l’amour, pas la guerre » slogans dont je ne connais pas exactement l’origine mais qui sont rattachés pour moi à cette époque où le mot « liberté » tenait une grande place et que l’on retrouve d’ailleurs dans le 6ème couplet de notre hymne national « Liberté, liberté chérie ! ».
Sait-on que la liberté, ça se gagne ? Ça se paye ! Quand j’ai voulu partir de la maison familiale, refusant de continuer à exercer le métier d’élève-maître choisi par mes parents pour « faire ma vie », je n’avais pas un sou en poche. Le soir, je dormais chez mon copain Chris et entre deux morceaux de guitare on buvait du café en poudre dans des boîtes de conserve ! Des petits emplois, j’en ai connu. Caviste improvisé, débardeur aux halles, comptable dans une épicerie, Disc-Jockey, etc…avant de trouver un métier qui me corresponde et où je puisse gagner ma vie sans rien devoir à personne. Être libre ça commence là.
Ensuite, il y a la liberté de penser, d’agir, non en fonction des autres, mais de ses propres choix. En 1978, chez un marchand d’images du quartier des Halles à Paris, j’avais acheté une carte postale que je trouvait jolie avec un coucher de soleil sur la mer et cette phrase « On n’est grand que lorsqu’on est soi-même » à laquelle je n’avais pas trop porté attention. La carte s’est retrouvée ensuite dans un livre qui, je crois, était « La nausée » de Sartre. Ce n’est qu’après une longue période de questionnements, de lectures philosophiques et littéraires, dans la tempête d’une psychanalyse qui n’en finissait pas, des déceptions sentimentales et déceptions tout court face à la comédie humaine où je ne savais pas jouer, que j’ai relu cette phrase autrement. Je l’ai rapprochée alors d’une autre, dite et redite par notre professeur de philo qui citait ce précepte gravé sur le fronton de Delphes et rapportée souvent par Platon et Socrate sous la forme « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux ».
Apprendre à se connaître soi-même pour mieux vivre et mieux diriger ses actes est à mon sens la condition même d’une vie d’homme libre. Comme le capitaine, seul maître à bord, qui est capable de diriger son navire pour le conduire à bon port, il ne faut jamais confier à autrui les commandes de son esprit. Mais pour que l’esprit fonctionne correctement, il faut l’éduquer. Nos professeurs de français, en classe terminale, ne cessaient de répéter qu’il nous fallait lire pour nous cultiver et apprendre à réfléchir, à mieux penser. Hélas, nous étions réticents à la lecture ; surtout quand il s’agissait des Essais de Montaigne ou autres comme Spinoza, etc. Je regrette de ne pas les avoir suffisamment écoutés car j’ai eu bien du mal ensuite quand j’ai voulu m’essayer à des préparations de concours du niveau ENM (Ecole Nationale de la Magistrature). Combien d’entre-nous ont réalisé à quel point ces professeurs avaient raison ?
Quand je vois le niveau intellectuel de notre société en 2023, j’ai peur. Beaucoup de gens ne savent plus réfléchir sans demander l’avis des autres ; on ne lit presque plus ; on regarde des vidéos ; on correspond par SMS avec un vocabulaire ahurissant ; on s’abêtit. Alors, devant un peuple de moutons annoncés, il n’est pas étonnant qu’un président de la république, déjà en 1978, intervienne un jour à la télévision pour nous dire : « Je vais vous indiquer le bon choix ! ». Quel que soit le fond du discours du président à l’époque, sur lequel je ne me permettrais pas de porter un jugement, ce qui m’interpelle ici c’est le mode opératoire. Les citoyens sont pris pour des imbéciles à qui il faut dicter leur conduite, leur vote ! Donc, il y a quarante cinq ans, s’annonçait déjà le déclin de cette société et peut-être le déclin de la démocratie. Les « suiveurs » sont incapables de réfléchir par eux-mêmes ; on peut les influencer et les culpabiliser à souhait. Oui, je dis bien les culpabiliser comme c’est le cas en ce moment avec le « terrorisme intellectuel » qui semble bien installé un peu partout et pas qu’en Europe.
Que penser également de la Constitution de 1958 que nous devons au Général De Gaulle assisté de son ministre Michel Debré ? On nous appris, en effet, qu’avant cette Constitution, la France, alors sous le « régime des partis » était devenue ingouvernable et qu’il était nécessaire d’apporter un peu de discipline en instaurant un régime présidentiel qui donne plus de pouvoir au Président de la République. Je ne m’étendrai pas sur ce point de droit constitutionnel mais je note simplement que cela s’était produit à une époque où certains rapportaient volontiers la phrase : « Les Français sont des veaux ».
Je vais poursuivre maintenant en vous racontant la conversation que j’ai eu récemment avec un ressortissant Tunisien au sujet du devenir de son pays après le départ du Président Ben Ali : Il m’a dit, en substance, que ses compatriotes regrettaient le régime du Président Ben Ali, qui, même s’il était très dictatorial, avait le mérite d’assurer l’ordre dans le pays, ce qui n’était plus le cas avec les nouveaux dirigeants qui, sous couvert de démocratie, laissaient s’installer la pagaille. Que dire aussi de ces commentaires avisés qui circulent sur la fin du régime du Colonel Kadafi en Libye dont on dit que son régime, certes autoritaire, était un rempart contre le terrorisme venu d’Afrique, lequel peut maintenant sans crainte remonter vers l’Europe ? Je ne ferai enfin aucun commentaire sur les politiques sécuritaires observées dans des pays voisins tels que l’Espagne, le Portugal, l’Italie ou la Pologne.
Je me demande s’il n’y a pas une résignation des gens sur ce qui semble se profiler à l’horizon. L’autre jour, une connaissance du Maghreb m’a avoué qu’il ne serait pas déçu de voir s’instaurer en France un régime autoritaire.
Se battre pour préserver notre liberté semble ne plus intéresser personne ; on prêche dans le désert. Est-ce la fin de la démocratie telle que nous la connaissons ?
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